17 avril 2011

L’endimanché



photo de Louise Imagine pour le 6e jeu d'écriture(s) du blog à mille mains

Je suis l’endimanché.
Mes amis de l’apéro dominical ricanent.
Pour eux, mon style, mes efforts et mes choix sont vains, ce ne sont que des bouts de tissus par dessus de la chair éphémère. Leur volonté de ne ressembler à rien étant ce qu’elle est, farouche, il me couvrent de quolibets, de la tête aux pieds. Me voilà doublement bien habillé.
Mais qui se souvient le dimanche, vers 11h45, alors que les verres se vident sur le feu des tapas, attisés au soleil zénithal, que dans quelques heures grossira l’infâme, celle qu’on appelle la boule, celle qui rajoute dans nos cœurs quelques unes de ses tonnes oubliées d’acide étouffant ?
Elle annoncera, je le sais déjà, l’urgence de reprendre des forces pour demain où tout recommencera. Ou tout s’arrêtera, c’est selon.
Moi, je ne la dilue dans rien, la regarde toujours en face et aujourd’hui je suis prêt. J’ai passé des années à trier, classer, essayer des tonnes de fringues. Car débloquer l’ultime étape sur laquelle je butais dans ce voyage insensé nécessitait la tenue idéale.
Je l’ai !
On a, jusque sur ce forum, raillé mes chaussures Richelieu de chez John Foster, prétendu que de loin sur la photo, elles semblaient des tennis blanches qui ne s'assortissaient d’aucune manière avec un pantalon foncé ?
On ne voit que ce que l’on veut.
Et j’aurais surement baissé les bras si Dali ne m’avait dit :
- Toi, je te vois, tu es l’œuf. Assis-toi prêt de moi. Et quand la foule aura passée, pressée par ce lundi toujours recommencé, fulgurant pourvoyeur de fumier, toi, par cette cabine automatique, photographique, fantasmagorique, tu passeras de mon côté. Viens ici, tu verras.
Depuis, après des heures, des années d’attente, aucun lundi n’est revenu.
Je vis auprès du fou.
Je suis bien assis.
Sans aucune idée de l’heure qu’il est.
Délivré.

09 avril 2011

Réactions en chaîne



photo de Louise Imagine pour le 6e jeu d'écriture(s) du blog à mille mains











- Ukončete, prosím, výstup a nástup, dveře se zavírají

C’est cette voix qui m’a conduit ici. Elle rompait avec le silence de la ville. J’avais cru pouvoir le supporter. Mais je dois maintenant reconnaitre mon erreur. Et autant être clair, invoquer tout de suite le pluriel, dire mes erreurs, car après avoir fini par accepter la première, c’est l’une après l’autre, en une chaîne acide et rouillée, qu’elles défilaient devant moi, me laissant une espèce de sale arrière goût de ne jamais vouloir s’arrêter.
Je m’étais trompé de bout en bout.
Entre la solitude que j’avais pu ressentir avant, perdu au milieu de foules anonymes, et celle-là, de fait, c’était un monde, un univers inconnu où le moindre souffle dans mes cheveux me projetait en lambeau vers des sommets d’angoisse acérée.

Alors j’hésitais, tergiversais sur la moindre décision à prendre, chancelais, doutant même de la meilleure façon de marcher pour ne pas gaspiller mes dernières forces, perturbé avec ça par le vertige, le sale torchon d’un début de vie grotesque que ce nouveau monde sans repères me jetait au visage.
J’avais malgré tout réussi à m’asseoir, trouver un siège, d’un photomaton perdu dans un des derniers recoins éclairé de cette gare déserte. Sans idée préconçue, sinon me reposer, finir ma dernière bouteille d’eau potable, faire le point. J’avais beau me savoir seul, complètement seul, un vieux réflexe me fit fermer le rideau. La suite s’imposa d’elle même, mettre une pièce dans la fente. Consommer pour oublier ce qui me consume ou pour me permettre de laisser une trace ?

J’ai profité d’un espace entre deux questions pour appuyer sur le bouton. Lancer la procédure. Finalement, il y a toujours un espace entre les choses, les questions, quel que soit leur nombre, si on prend la peine de s’y attarder. Et en m’y attardant, je commençais à en voir l’étendue. Plus je plongeais dans cette faille, plus elle s’écartait. Aucun des mouvements que je mettais en route ne semblait pouvoir prendre fin, qu’ils me libèrent ou m’écrasent, ils étaient nés pour durer, une éternité.

Mais j’avais aussi le pouvoir d’arrêter les éternités ou plutôt d’en sauter en marche. Un simple mouvement de tête, un coup d’œil de côté, un instant d’inattention et naissait une nouvelle question : sourire ou rester impassible en attendant le flash promis par l’automate ?
Je repensais à la sortie de secours fermée à clé que j’avais dû enfoncer à coup de pieds pour rentrer ici, au panneau publicitaire où Dali faisait son numéro, décidais de sourire, que les efforts pour nous distraire prodigués par les services de sécurité et ceux de l’artiste n’aient pas été vains.
Je me rappelais précisément le moment où tout sourire m’avait quitté. Le jour du premier des accidents nucléaires, alors même que j’étais inconscient du fait qu’ils déclencheraient tout le reste.

J’attends pourtant mes clichés, je vient de m’en rendre compte, dans un état anormalement serein. Encore une réaction en chaîne, un sourire un peu forcé, les yeux qui se plissent, les joues se réchauffent, le cœur s’accélère, tout mon corps se met en place pour un instant de joie et l’apaisement se produit, aussi incongru que cela puisse paraître.
J’ai maintenant franchement envie de rire en me rappelant comment je cherchais avec soin mes vêtements les plus classes alors que résonnaient les sirènes, autant inquiet par l’urgence de trouver un abri sous-terrain dans cette ville étrangère que de ne pas trouver ma cravate rouge, ma préférée.
Je me rappelle de tout, les centrales qui pètent les unes après les autres, la population nipponne qui perd finalement son calme, les tentatives d’exode, les 5 continents qui refusent l’accueil, la guerre finalement, le reste du monde sous le coup des missiles surprises des Japonais.
Et moi qui fais le beau pour une photo que personne ne verra.
On ne se remet jamais vraiment d’un voyage en Bohème.
Je n’en reviendrai pas.