21 décembre 2012

C'est le bouquet !

   Depuis toute petite, entre les hommes et moi, c’est compliqué. C’est douloureux, aussi, souvent. Ils imaginent, calculent, complotent, seuls ou à plusieurs, tout un tas de tactiques, pour m’inclure dans leurs jeux militaires. Ils réfléchissent, pensent réfléchir, à ma place. J’ai, tristement, vite compris qu’il me serait impossible de vivre sans eux. J’avais, je crois, autour des douze ans, lorsqu’à un de ceux qui sût le moins me déplaire, je livrais cette confidence. Je mis sur la table ce présent, saoule de confiance, mon autonomie déficiente.
L’information a dû filtrer.
Mais je sais qu’ils savent. La connaissance est une de mes armes favorites. Avec elle, j’ai toujours eu, plus ou moins, un ou deux coup d’avance. Je sais ce qu’ils attendent. Mais je suis un peu distraite. Et j’aime beaucoup trop le cinéma, les romans. Je ne suis pas une machine. On a tous besoin, de temps en temps, d’être un peu dilettante. Au travail, je reste vigilante. En amour, ça devrait être plus doux. Il faut que ça le soit. La frontière est pourtant claire.
Mais les hommes mélangent tout. Et s’inquiètent vite quand ils voient que je ne bois plus leur parole. J’aurais au moins réussi à garder le secret sur cette soif que j’ai appris récemment à juguler. Ce fut comme d’arrêter de fumer, de boire, de manger. Beaucoup de souffrances, d’efforts, de renoncement. Et un matin, le dégoût. L’étonnement. Je n’ai pas pu aimer ça ! Ce n’était pas moi...
Alors, ils s’endurcissent, peaufinent, fignolent, bricolent des machins, trucs, des bidules à immiscer dans nos vies. Le doute, le culot, mixés ensemble, après un bain-marie, on se le prend de plein fouet, n’importe quand, n’importe où. Négligemment posé, sur un coin de mon bureau.
Et ma vie, toute ma vie, tangue, prête à basculer.
Et c’est toujours in extremis, que je m’agrippe, me rattrape, par chance, à quelques rares certitudes.
Et à la colère.
Le con.
Ce coup ci, il a réussi à me faire livrer des fleurs...
Tout un bouquet.
Je le hais.
 

05 décembre 2012

Au train où le soleil se couche

Photo de Louise Imagine


   J’ai arrêté de lire le 28 novembre de l’année 2012. J’entamais à peine le premier chapitre d’un bouquin pris au hasard, en plein milieu d’une pile à lire qui menaçait de quitter la stratosphère. J’avais la voracité, le vertige et la nostalgie. Et toutes ces parcelles intimes, ces miettes d’âmes et bouts de soi que je récoltais entre les signes imprimés servaient de ciments aux briques primaires de ma biologie fondamentale.
Le soleil se couchait. Je ne saurais dire le nom de l’ouvrage, ni d’où il me venait, pas plus que le style, ni l’auteur. Était-ce un roman, une biographie, un recueil historique ? L’ai-je jamais su, d’ailleurs ? Je me rappelle par contre avec certitude du goût âcre et suintant de déjà vu. 
Alors, j’ai laissé mon regard glisser sur la pente d’une ligne taillée pour moi seul. Un bon livre ne se finit pas. Un bon livre, c’est celui qui contient la phrase, adressée a soi personnellement, qui nous fera décoller. Curieusement, un mauvais livre peut produire semblable effet.
   Ma vision a sauté, d’un coup, accoudoir, rebord et vitre, pour se retrouver dehors. L’extérieur. Ça, je ne l’avais jamais vu. Ou était-ce peut-être l’inverse ? Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agissait de voir, il s’agissait de neuf, il s’agissait de voir la nouveauté derrière l’habitude. Et les caractères que je parcourais depuis le démarrage du train ne formaient plus que du périmé, du déjà lu. Mes lectures passées, vues d’ici, formaient une seule et même histoire qui se répétait depuis toujours. Les personnages se mélangeaient, échangeaient entre eux, sans vergogne, rôles et costumes, les villes se construisaient, se détruisaient. On allait en oscillant, tantôt vers le pire, tantôt vers le meilleurs et ainsi de suite, dans un flux sinusoïdal presque parfait.

   Il me fallait maintenant le lâcher, ce bouquin. Mais quelque chose résistait. Mes mains s’agrippaient au paquet de feuilles collées. Une bouée inutile pour qui aspire aux profondeurs. Mais après tout, si cet objet desséché pouvait occuper mes mains et elles seules...
Je voyais. Je n’avais donc plus besoin d’elles. J’avais fini de bâtir ma cinquième tour aux neuf étages et enfin, celle-ci tenait bon, semblait plaire à l’architecte. Il était l’heure de partir.
   Alors autant donner un os à ronger, une pierre à poncer, au bâtisseur avide d’action qui cherchait encore une ultime distraction, une occupation. Offrir un hochet à l’enfant roi. Qu’il voit, lui aussi, en le secouant, les ruines de son royaume abandonné.
Je suis parti, le laissant finir ses derniers sanglots, du haut de son vieux trône érodé par milles vents lunaires, craquelant sous le gel des dernières nuits d’automne.
   Et commençais enfin à savourer le voyage. Étourdi par la beauté de cette nuit qui approchait doucement. En robe du soir, elle dansait sous ma fenêtre, ravie de renaître, encore une fois. Elle irradiait, depuis quelque recoin mystérieux de l’horizon, comme toujours, comme jamais. Chaque instant était nouveau. Chaque rayon de lumière touchait la nature d’une façon unique, inédite.
Et même si il n’y avait plus eu, pour l’éternité, rien de nouveau sous le soleil, à part mon regard enthousiaste, ça aurait déjà été amplement suffisant. Mais il y eu plus.
  Les nuages, qui naviguaient au loin dans les hauteurs, semblaient plus proches. Je ne compris qu’en me penchant. Nous avions quitté les rails. Le wagon glissait dans le vide en prenant de l’altitude. La traverse se remplissait de voyageurs cotonneux, d’oiseaux de haut vol. Un satellite, en retraite de son orbite géostationnaire, s’assit en face de moi en souriant. La terre avait repris la place qu’elle avait aux commencements, lointaine, inaccessible.
De mon côté, les choses étaient comme l'air, enfin limpides :
Je ne redescendrais plus jamais.

03 décembre 2012

Violence de bisous sur cœur d'artichaud

reprise de volé d'un post de Lulullabyonearth


« cool bisous »

On dira ce qu’on voudra, un petit texto savamment dosé, ça peut redonner, à une journée, une vie, tout l’éclat que le temps ordinaire se plaît à ternir. Et Carole a ce don. En deux mots, elle peut me retourner le cerveau, le faire revenir à feu doux, me déclencher de ces petits crépitements neuronaux qui ravissent toutes mes terminaisons nerveuses. Depuis, je regarde mon portable régulièrement pour savourer chaque signe de son message :

« cool bisous »

Ceux qui me connaissent s’en étonnent d’ailleurs. Je n’ai jamais caché mon penchant pour le texte charnu, la phrase toute en rondeurs s’étirant sur plusieurs lignes. J’en ai fait des tonnes, à glorifier la faconde pendant des heures, devant ceux qui ont le malheur de lancer le sujet en ma présence, sur la nécessité de l’abondance. Car elle seule peut nourrir convenablement une âme affamée. Il le faut ce poids, pour creuser les profondeurs idoines, seules garantes de la survie des racines, vitales autant que fragiles, de nos joies les plus chères. Mais Carole, c’est l’exception. En deux mots, elle s'immisce en mes abysses pour les réchauffer de sa morsure chaleureuse.

« cool bisous »

Et mon cœur bondi par dessus les égouts de mes peines quotidiennes, rebondi au delà des montagnes de douleurs ancestrales, traversant, comme d’autres les flaques, les océans de larmes d’une humanité agonisante. On est tellement loin des anorexiques “ok à+” ou autres “nickel, ça roule”. Des os sans chair transperçant la fine peau censée nous protéger. Ici, tout est à voir, à sentir. C’est des lèvres douces et moelleuses, prodiguant, sans la moindre économie de tendresse, des tonnes de baisers sur mes plaies apaisées.

Il y a tout quand elle me l’écrit, ce délicieux :

« cool bisous »

Et Carole, insensée, joue avec le feu de ses bises plurielles. J’avais fini par l’encaisser, son départ vers un appart’ mieux fourni. Des tablettes de chocolat plein les placards, plein le nombril de son Big Jim de moleskine. D’accord que nous, c’était parti pour le virtuel. On a gardé nos jeux en ligne. Et c’est bien mieux que rien. Mais j’ai beau prétendre n’avoir aucune attente, quand par exemple comme ici en lui envoyant le résultat de ma dernière quête, ma respiration s’alourdi à la réception de son :

« cool bisous »

Parce qu’elle aurait pu ne rien répondre. C’était juste une info qui n’avait pour but que de valider le walkthrough qu’elle m’avait communiqué. Je connais son hyperactivité, le peu de temps qu’elle a. Alors, je me grave, pour le repasser en boucle, ce qui a forcément dû se passer. Elle quitte des yeux son interlocuteur, lâche son occupation et fait une pause où il n’est plus question que de moi. Alors, la technique se mélange à la tendresse, et je reçois :

« cool bisous »

C’est simple, minuscule. C’est assez discret pour passer inaperçu. La plupart n’y verrons que superficialité, légèreté proche de l’inattention. Qui se pique encore aux aiguilles perdues des bottes de foin ? On veut des romans étalés sur 300 pages, des demis douzaines d’années de saisons télévisée. Il nous faut des orages pour que les gouttes, démultipliées, enfin nous touchent. L’amour, alors, est une averse. Une pluie, qui ne s’évapore pas, qui ne s’arrête pas, qui inonde mais ne noie pas.

Mais maintenant, je peux aimer d’une autre façon, sans que l’eau ne me monte jusqu’aux coudes.

Qu’importe, finalement, que tu le saches ou pas ?

Tant que de temps en temps, tu y penses et m’envoies :

« cool bisous »


26 novembre 2012

L'heure a raison, d'où leurs oraisons...

  Je suffoque presque. L’air, pourtant, soulève ses tornades de feuilles mortes dans la cours. Il siffle entre les battants des fenêtres qui ne ferment plus. L’école est vieille, la classe abandonnée. 
J’ai eu brutalement, quelques heures auparavant, la plus intime des convictions ; le soleil n’irait pas plus loin dans sa course quotidienne. Le jour est, et ce depuis bien trop longtemps maintenant pour en douter, bloqué en son lever. Mais peut-on encore parler de lever quand s’est tarie la promesse de plénitude ? Alors, je regrette infiniment la tâche oubliée. Celle qui, hier, m’a privée d’accorder l’affectueuse attention que j’aurais fatalement portée au dernier zénith, l’ayant enfin, absolument, reconnu comme tel.
Et je regrette infiniment la tâche oubliée, qui avant-hier m’a privé de l’avant-dernier zénith.
Et je regrette infiniment la tâche oubliée, qui avant-avant-hier m’a privé de l’avant-avant-dernier zénith.
Je regrette...
Sans pour autant savoir si c’est ce regret qui, au sortir du lit, m’amena devant les grilles rouillées de l’enfance. Ou si c’est cet étrange, impérieuse, irrépressible pulsion à refaire au réveil l’antique trajet, qui stoppa net, définitivement, autour de moi, la course de l’univers ?
Ce jour qui ne veut pas commencer avait pourtant, au début, le même goût que les autres. Je l'ai un instant reconnu. Le réveil a sonné, je l’ai éteints. L’eau a chauffée, je l’ai bue. J’avais précisément le retard idéal, calculé à la seconde près, lorsque j’ai tourné la poignée de la porte pour sortir.
Le ciel, d’un noir plus profond que l’heure ne l’aurait laissée imaginer, ne m’a pas inquiété. Mais comment m’expliquer le souvenir flou d’être passé à côté de ma voiture sans y toucher ? Je crois même l’avoir regardée comme on regarde un objet mort, un caillou commun et tellement inutile que le coût du coup d’œil n’en vaut vraiment pas le coup. Et j’ai renoncé sans y faire attention, à ce miracle usé de viser la serrure, les paupières molles, sans rayer la carrosserie. Pas plus non plus de confort sécurisant, une fois calé dans le siège moelleux, ni satisfaction fugace à l’écoute du bruit du moteur, après un ou deux tours de clé, ou cet apaisement sensible quand les phares trouent, victorieux, l’obscurité matinale.
J’ai juste contourné ce tas de technologie comme si c’était un rocher un peu ennuyeux, un obstacle inutile.
Et c’est à pied qu’à 45 ans, j’ai repris comme si c’était hier, le chemin de l’école.
Il n’y avait personne au portail, je l’ai escaladé pour rentrer. Personne dans la cours que j’ai traversée. Le hall vide ne résonnait que de mes pas. Le couloir, infini. Les portes fermées, j’imagine, car je n’aurais jamais osé tenter d’y entrer, sachant qu’aucune de ces classes n’était la mienne. J’arrive au beau milieu de l’infini, du couloir tout au moins.
J’attends. Je me suspends à un porte manteaux, les bras tendus. J’attends longtemps, le corps ballant, les jambes repliées. Mais ça n’a jamais sonné.
Là, je suis dans la classe, ma place est contre la fenêtre. Une barre dessous la table s’appuie douloureusement sur mes cuisses. Je regarde dehors, où il fait toujours un tout petit peu moins sombre qu’à l’intérieur.
J’ai raté ma vie.
J’ai peur.
J’étouffe.

09 novembre 2012

La maladie

photo Sylvain Lagarde
Je suis tombé dans la maladie
Et impossible de dire précisément quand. Mais c’était forcément à un moment charnière. Depuis, je passe en revue le moindre de ces évènements. Comme si je pouvais guérir en revenant à la source du mal. J’ai plutôt l’impression de me servir de cette hypothèse douteuse pour me distraire l’esprit. Il serait pourtant bien plus judicieux de me concentrer. Mais la fièvre épuise une à une mes dernières forces. Mon capital fond. Mes muscles, ma vue se disolvent. Je ne sers plus qu’à penser. Je rêve d’équinoxes. 
Ça aurait très bien pu être le jours où j’ai enfin répondu à ton invitation, que d'un coup je glissais dans cet entre-monde. Je garde précieusement la mémoire, de l’heure, de la minute, de la seconde. Dans ma collection compulsive de codes temporels, il figure en bonne place. J’avais donc sonné à ta porte et depuis ce qui me sembla être une bonne dizaine d’année, j’attendais sur ton palier. Je profitais de ce temps mort pour ne penser strictement à rien. N’attendre rien non plus. Je regardais le bois de la porte. Il me le rendait à sa façon, m’hypnotisant doucement. Je me doutais bien qu’il aurait suffit de compter les veines du bois, de l’extérieur vers l’intérieur, pour connaître l’heure pile où je passerais enfin, de l’extérieur vers l’intérieur. Mais je préférais la surprise. Ou plutôt, je me saoulais du manque de courage qu’il m’aurait fallu pour m'atteler à cette tâche, somme toute fastidieuse. J’étais déjà un peu vieux, je crois.
C’était la glissade qui me plaisait. Je sentais le temps se raccourcir, se compresser, attendant affectueusement l’effet de ce que que j’avais pris l’habitude de nommer : mon bon ressort. La porte devrait grincer car l’infini mathématique encore une fois mentirait. Et je serais soudain chez toi. Quoiqu’en omettant soigneusement de préciser l’épaisseur du ressort, je maintiens artificiellement en vie un miracle qui n’aura pas lieu. Si elle pouvait, un jours, cette porte, pour mon plus grand bonheur, n'en jamais en finir de s’ouvrir. Vraiment, elle ne devrait jamais en finir. Je ne devrais jamais rentrer. L’institution assignerait à chacun une porte, à chacun une place. La paix immobile des nations. Les peuples des portes, ni ouvertes, ni fermées.
Juste en train de...

- Je t’en prie, entre.

Je suis passé du palier de l’immeuble au couloir de son appartement à 20h 32mn 05s. C’était le jeudi 15 novembre 2013. Je ne pourrais pas mieux dire. Y a t’il eu un éblouissement à la bascule des mondes ? Ai-je reçu une quelconque piqûre au bas ventre, pour ce passage téméraire, qui fût loin d’avoir bénéficié de l’attention qu’il méritait ? J’ai bien peur de ne pas savoir ?
J’avais déjà, avant de la rencontrer, franchit tellement de seuils, fait preuve de tant de légèreté coupable.
Et c’est là que certaines de nos maladies communes s’installent. Une brèche s’ouvre, on regarde ailleurs, pressé forcément. Mais quelque chose guette.
Un trou se forme.
Et on tombe... 
Dans la maladie.

08 novembre 2012

Après la tenue

Après la tenue
Je reste ou je pars ?
Je laisse un temps ou deux
Et le teint défait feins
D’avoir tout laissé filer
Avant de terriblement enchaîner
Déchanter
Ou vraiment s’écraser
Sur la coda qui ne sait que ceindre
Et comme toujours du début
Repartir.

Après la tenue en tout cas
Que les mains se jettent
Joyeusement les unes vers les autres
Ou qu’elles pendent abandonnées
Elles aussi soumises
Aux sales gimmicks
Séparées par les corps de marbre
Les pierres rigides
Il faudra bien qu’elle ondule
Celle qui n’est soumise
Qu’à l’harmonie

Après la tenue
J’aurai
Ô mon Dieu !
C’est en posant la dernière note qu’on le sait
Tellement souhaité continuer
Je suis la basse qui marche
Posez-vous, appuyez-vous
Contre mon dos rond, mon gros ventre
Je suis la basse en marche
Un tapis persan traversant les nuages
Qui croyait pouvoir toutes et tous
Vous transporter

Après la tenue
Je me suis étalé
J’ai oublié, j’ai refusé
De respirer

Après la tenue
Personne n’a cédé
Alors j’ai glissé de case en case
Hors de la gamme qui nous guidait
Je suis celle qui plus que dérange
N’a rien à faire ici
Celle qui gâche
Je suis fausse
Jamais assez muette
Rares sont ceux qui m’oublient

Aujourd’hui enfin
Après la tenue
J’en ai profité
Par amour d’un silence
Pour me faire oublier
La morte.

24 octobre 2012

La haine vous allait si bien


Kiele Sanchez de chez 30 jours

   C’est une veste sombre. Appelant l’obscurité, sans pour autant céder au noir. Car, établi, il ne demanderait qu’à tout dévorer, de l’angoisse jusqu’à la paix. Le toucher doux de l’acier, qui ne renvoie qu’une image implacable, impeccable, sait qu’il va tout déchirer. Il fallait qu’elle se laisse deviner, l’horreur.

Il fallait donc donner, pour recevoir, et encore demander, pour savoir, et toujours, inviter, pour se voir.
De mon côté, surtout, discriminer.
Ce qui ne fût, loin s’en faut, pas fait.
Un tailleur légèrement échancré. Un appel, une infime possibilité, la pente.
Il y avait pourtant eu un avant la haine. Avant les brouillards glacés de novembre. Ce furent des éclats de rire, courts et aigus. Des bruits de braises chaudes dans la cheminée du salon. Des pieds nus sur la moquette. Des promesses de fêtes imminentes, des jeux.
Une femme est venue, les bras chargés de cadeaux. Elle distribuait, comme au hasard, des paquets anonymes, de toutes formes et de toutes tailles. Sa soif d’offrir illuminait son regard, rosissait ses joues. Elle semblait prête à se consumer, de baisers en baisers. Elle sentait l’herbe folle des près en jachère, du temps des colonies à la liberté bafouée, par les grumeaux de bitume liquéfié des chemins brûlants sous la canicule.
Les nuages s’alourdissaient.
Alors elle m’a enseignée la haine. Quand vint l’évidence que, par nos poches trouées, les sagesses anciennes furent dispersées en poussière de marbre, englouties par la plus isolée des clairières ; il ne resta plus qu’elle.
Son présent, j’ai dit, ce fût la haine. Parce que la ville nous attendait. Parce qu’il était tard. Le ciel perdait devant l’orage. Elle prodigua, contre le pire, ce qui s’avéra être le pire des contre-feu.
Elle cherchait quoi ?
L’amour, j’imagine.
Elle proposa ? Oui, la haine.
Mais elle la portait si bien... Une haine soigneusement réfléchie, délicatement découpée, qui lui tombait parfaitement, judicieusement, au dessus du genou. Agréable l’été, pratique en hivers, toujours à l’aise entre deux taxis, entre deux averses. Un vêtement délicieux d’intelligence.

Et la Javanaise résonnait, en négatif :
“J'avoue j'en ai bavé pas vous,
Mon amour
Quand j’ai eu vent de vous,
Mon amour”

Mais c’était moins beau. Un jour je regarderais les pieds, bien plus attentivement. C’est qu’ils tiennent autant l’édifice qu’ils ne précipitent sa chute. Et moi, enfin, avec une indélicatesse coupable, et pourtant devenue tout à fait coutumière, je m’en fous comme de ma première chemise.
Comme de vous, et de votre étrange cadeaux, impossible à refuser, inutile à accepter. Un cadeaux qui ne s’ouvre que pour se refermer, après avoir avalé celui qui a eu l’audace de le dépiauter.
Mais, ce n’était pas vraiment un cadeau.
Pourtant, il vous allait si bien.

09 octobre 2012

De pleins bols de rage

Automn by Scott













Les cœurs mous gisent écrasés
Sous les semelles hurlantes des troupeaux
Du monde de la colère organisée
Où je remplissais en routine mécanique
Mon bol de rage
J'étais le plus doux des invités
Lorsque, sur les tables débordées du banquet,
Nos chefs se sont levés
Alors, à nos pieds, nous fûmes priés
De jeter les écorces de nos amours décortiqués

Je dors, la joue collée contre une motte de terre morte
Rêvant de formules oubliées
Rêvant de compagnons d’argile à ranimer
Rêvant de puits rendus inutiles
Par une seule source
De la seule et vraie ivresse

Aujourd’hui, j’ai délégué le dernier de mes flux
Un souvenir de mes humeurs toujours moites
Opaques et laiteuses
Que tu m’as promis de garder
A jamais éveillées
En ton sein

Et j’ai pris mes jambes à mon cou
Gémis en grinçant des dents :

Les morts avec les morts

Les forts

Les torts

… Dors !

10 septembre 2012

Parole à Tanger

     Et il se rebiffe. Tanger, c’est sa ville. Et moi, enivré des parfums de la médina, je parle. D’une noria aux rouages étrangers, les mots remontent en continu. Ils ne semblent pas m’appartenir plus que si je n’étais qu’une jetée déposée sur la mer, savourant, à peine conscient sous la chaleur, la fraîcheur des flots qui me frôlent. Un mur de pierre bâti aux commencements. Contenant, d’un mouvement d’épaule imperceptible, les vagues de syllabes trop curieuses. C’est qu’elles sont avides de mes inattentions coutumières, amoureuses de ces brèches qu’elles attendent pour enfin déborder. Alors elles pourront détourner sans souci les plus claires de mes idées, pour lesquelles elles semblent d’ailleurs n’avoir jamais eu qu’un intérêt passager.

Quelque chose de primordial pourtant me semble à portée. Alors j'empile soudain consonnes, voyelles, phrases, théories, contradictions ou vérités, plus sensible à l’énergie chaleureuse qui m’habite qu’au sens que porte ma voix qui s’aggrave à mesure que l’air me brûle. Mais les blocs de raison que je jette en son lit nuisent plus à mon débit que cette terrible canicule, dévoreuse de nos vitaux apaisements nocturnes.

Simplement continuer à distiller ces ondes concentriques, omnidirectionnelles, accordé à l’instant. Laisser les ruelles m’embrasser en douceur et jouer, étourdi de tourbillonner, confiant qu’à la fin toujours elles me bercent. Alors naîtra la mélodie. Celle qu’on perd en s’y accrochant. Celle qui devient parole, je crois. Celle qu’on espère comme la plus sûre des promesses de paix.

Soudain je chancelle, comme au réveil.

Il parle.

Et je souris. Comprends. La solitude, la violence, la blessure.

La plaie qui suinte à mon côté devant ma peine à échanger me broie de moins en moins les entrailles.

Il n’est pas plus important que j’inonde l’univers de reflets lumineux que je cède d’un cœur léger la parole à qui veut.

Il l’a repris, cette parole.

Je suis donc chez lui.

Heureux d’être enfin perdu, enfin étranger. D’être loin d’avoir tout dit. De ne jamais être capable de pouvoir tout dire. Heureux d’avoir l’occasion d’essayer de faire miens les mots d’un autre.

Apprendre me relie.

Savoir m’isole.

Je cicatrise.

Ravi de pouvoir encore un peu vraiment écouter.

16 juillet 2012

Haut-le-cœur



     
    Il a fallu attendre. Attendre longtemps. Garder les yeux ouverts. Oublier la fatigue. Jamais nuit ne fut plus longue que celle qui m’accompagna. Et l’ennui, l’ennui. Brûlé dans les étincelles d’alcool sous mes paupières fermées. Je le croyais pulvérisé. Je dessinais dans ses cendres les corps nus de celles que j’aurais dû caresser. Et cette poussière illusoire, soit disant morte, apparemment docile, se laissait faire. J’étais heureux, artiste et fou. Je contemplais dans l’obscurité des feux allumés pour moi seul. Je dormais par terre dans les empreintes en berceau que le poids des géants millénaires avaient sculptées dans la pierre. Je revivais les temps anciens, quand le sol était mou, malléable, quand on hurlait dans l’hiver unique, recouvert seulement du nécessaire, d’un épais manteau d’argile, d’une vitale croûte primale. Nous sommes tous sortis de terre !
A cette époque, je fréquentais les taupes. Leur taille minuscule m’aurait laissé froid si leur nombre insensé associé à la douceur de leur fourrure ne m’avait tricoté la plus chaude des couvertures. J’étais saoul, je le rappelle. Et c’est en ricanant que je me laissais border. Il faut bien vivre, se nourrir même si ce n’est que des rires homéopathes échappés des brumes de l’aube.
Mais le rire qui dure trop, c’est comme tout, ça nous tue.
Alors un soir d’ivresse, échappant de justesse à la folie et au crime, je suis mort.
Je veux dire, j’ai arrêté de boire. Vinrent de rapides décennies que je passais à tituber, ravi, chancelant, curieux et confiant. Les yeux opaques baignés de larmes. Le cœur, comme il se doit, broyé, étouffé sous les parchemins. Je devais être terriblement assommant en voyant polaire grignoteur de sabbat volcanique. Anachronique, dépareillé, déplacé, fatiguant.
L’énergie incroyable consumée lorsqu’il faut enfin se résoudre à lever la hache sur la barrique m’avait réduit l’âme et le reste en poussière. On ne remarquait, même penché de l’attention la plus concentrée sur mes restes, aucune différence entre moi et les fameuses cendres de l’ennui. Rappelez vous, celles des débuts défunts et funestes de ma cruelle crémation.
Et je serais bien incapable de calculer le temps durant lequel nous fûmes pilés, lui et moi, dans ce creusé alchimique où la nuit m’avait conduit.
Maintenant sans vergogne, la fusion accomplie, c’est à mon tour de murmurer aux oreilles des chanteurs hurleurs, les innocents festoyeurs : je suis le fidèle, celui qui jamais ne vous abandonnera. Je suis l’Ennui !
Je vous retrouverai, incrédules, adossés aux pierres antiques, cherchant à fuir l’accablante chaleur stambouliote. Et là, à grands coups d’Ennui, je vous écraserai.
Même les plus courageux, dispersés aux confins des plaines de la Grande Mongolie Éternelle, je les retrouverai. Je suis le grumeau flottant entre deux eaux, caché dans les seaux de lait de jument fermenté que bientôt vous vomirez.
J’ai détruit tant de travailleurs acharnés à me fuir que j’avoue moi aussi, quand revient le soir après une journée trop chargée, ressentir ce trivial et commun haut-le-cœur.
Alors je repars en chasse pour l’oublier.
Et la boucle est bouclée.

14 juillet 2012

Maternité



















Le mal, le grand, sans majuscule quand même

C’est sûr comme le fer planté
Au dur milieu du visage
Je n’irai nulle part, ni à dire
Que c’est de mes mains, les gouffres
Où jamais ne vint gratter le soleil

Sous l’ombre de l’un de ses rayons
La lumière me justifie
Je n’ai rien bâti de plus
Que ce que tu vois de moi

Mais les montagnes, les plis de la terre
Qui se brisent et dégueulent de lave
Ces pierres rougies à vif j’en avoue
De quelques unes la maternité
Tu vois, je macère, je calcule
Dans mes entrailles ces drames
Pour l’amour de la science je crois
Du moins je m’entends
Sans qu’on ne m’y encourage,
Le dire

Alors j’ai coché en pleine conscience
Un peu au hasard
J’ai noté le jour définitif
Classique et implacable
Que j’hésite à colorier
Pour que tombe la peine sur la peine
Oui, c’est triste et grave et pathétique
De voir le bourreau lever sur son propre cou
En laissant grincer ses dents
Le sobre, le commun, le sale outil capital

Je subirai comme je le souhaite
La plus douloureuse des sentences
Quand la lame glacée, le métal bouillant
Gorgée des joies millénaires
Viendra relancer mon moteur mon cœur

Les tenants, les bras ballants
N’aboutissent que rarement
Là où les lois les prévisions
Les attendent.

03 juillet 2012

La cuisine imaginaire



Atelier d'écriture chez Asphodèle.
Utiliser les mots suivants :

quenelle – quiproquo – quolibet – quiétude – quintessence – quota – quérir – quenotte – querelle – quinoa – quilles – quintette – quartier – quintal – quinquet – quelconque – quitter – quasi – quantité.

      Je m’en suis rendu compte il y a peu. Lors d’un de ces trop copieux repas de famille. L’heure avait tourné et je sentais qu’il me faudrait enfin trouver le courage de les faire, ces tristes adieux au temps béni et insouciant de l’enfance. J’étais, comme jamais auparavant, bien décidé à franchir le pas, à le payer ce lourd tribu.
Car elles seront irrémédiablement finies les galipettes effrénées dans les prés vallonnés, celles qui impriment leurs traces vertes indélébiles sur nos fonds de culotte, tout en nous laissant consciencieusement sourds au lointain quota de punitions que l’on ira quérir en tremblant sous les quolibets des copains. Terminées les querelles avec d’adorables chipies, nos reines du quiproquo et de l’embrouille. Abandonnés les jeux de quilles sur les trottoirs contre les gamins du quartier voisin et perdues pour longtemps les quenottes si bien cachées par l’invisible, la toute petite souris, qu’on n'y remettra la main dessus qu'une foule d'années après.
Il y a quantité de choses que je regrette déjà. Comme l’assurance d’avoir toujours un papa très fort, prêt à me tirer des quelconques mauvais pas où j’avais la quasi certitude de foncer tête baissée. Car il pouvait, il me l'avait juré sans mentir, soulever facilement un bon quintal dans chaque main ; et ça aussi haut que le plus haut du dessus de ma tête.
Mais ce n’était plus possible de continuer comme ça. Il fallait tout quitter ou continuer jusqu’à la fin à me bercer de cette hypnotique quiétude qui m’engourdissait. Comme s’il était possible d’éternellement s’éclairer à l’antique lueur du quinquet. Comme si mon corps, mes neurones pouvaient encore longtemps supporter le rythme assourdissant de ce quintette de jazz New Orleans qui enflammait, chaque dimanche soir, l’arrière salle du Bistrot Créole, où je diluais, dans le rhum et la musique, la déprime qui me rongeait à la seule pensée d’un autre lundi de bureau.
Certains prétendent que la quintessence d’un changement ne s'obtient que par une mutation radicale, instantanée et définitive de tout son être. Je veux bien, soit. Accordons leur tout le crédit qu’ils demandent.
Mais je doute, car la vérité c’est qu’ils ne les ont pas passées dans ma boite, les deux dernières décennies... Déjà, le simple fait d’écrire ces lignes me rend suspect à moi-même. Quel drôle d’intérêt puis je trouver à essayer de concevoir ce qui peut exister au delà des outils intellectuels, déjà conséquents, que ma profession et ma vie sociale nécessitent ?
Pourquoi faire, pourquoi gâcher tout ce temps, cette énergie ?
Et si j’arrive tant bien que mal à envisager qu’il puisse y avoir une alternative à la vie absurde que je me suis construite, me plonger d’un coup comme ça dans l’inconnu...
Je n’y pense même pas. Je sais qu’il me faut, à l’instar d’un toxicomane en cure, une sorte de lente désintoxication.
Mais heureusement aujourd’hui, hasard du calendrier festif familial, j’ai trouvé par où commencer. Dès demain matin, je vais petit à petit modifier mon régime alimentaire. J’ai établi un programme à base de quinoa qui devrait me faire le plus grand bien.
Mais je sais qu’il me faudra absolument garder ce jour en mémoire. Car la rechute est toujours là, une main sur mon épaule, à guetter un faux pas.
Alors c’en est fini de tout ce qui faisait la joie des repas d’enfance. Je me souviendrais longtemps de ce dernier coup de fourchette, écrasant un corps oblong, à la pâleur phallique, à la mollesse écœurante. Et cette pâte uniforme, à deux doigts de suinter de graisse, et dont personne ne pourrait sincèrement en certifier la fraîcheur des ingrédients... Mais bien sûr que le charcutier nous ment, nous cache quelque chose. Sinon, pourquoi tout broyer en une bouillie méconnaissable ? Historiquement parlant en plus, le saint plat était déjà entaché de spoliation, de la victoire de l’argent sur l’artisanat local ; et ce, depuis le début du siècle dernier.
J’ai lâché mes couverts brusquement, comme on sort d’un cauchemar récurent.
J’ai escaladé ma chaise.
J’ai fait tinter mon verre en demandant l’attention.
Et j’ai réussi à hurler entre deux jets de vomi :

- Ah ça non, pour moi il est clair et net que la quenelle, c’est mort !

18 mai 2012

Quelqu'un de dos


Trop de nuages, elle n'ira pas à la plage. Pourtant le mercure indique sans nuance qu'il serait plus raisonnable de se jeter à l'eau, de flotter, porté par la mer, fouetté par des vagues volontaires ou aux choix giflé par les embruns. D'autant que la chaleur s'attaque à ma vue, mes mots, me chamboule. Tout autour de nous, le flou s'insinue doucement, plus rien n'est clair.
J'avoue, j'étais déjà dans le vague avant elle. Qu'elle n'ait pas ça à porter, elle si violemment légère. Je lui parlais, il était, si je me souviens bien, aux environs de midi. Elle ne disait rien. Déjà ses doigts glissaient, je dirais s'abîmaient, sur le plateau laqué d'une minuscule table ronde au pied sculpté d'acier massif planté dans cette jungle Art Nouveau qu'est la terrasse du Globe. J'étais volubile, à la limite de m'écœurer…
Je crois qu'à un moment elle a dit “Maintenant“. Et mes yeux n'ont plus fait le point. J'y voyais autant qu'elle parle, peu. Elle s'est levé en disant “Je vous suis“. J'ai sûrement dû buter du pied sur un obstacle invisible. En panne de mémoire ou de conscience ?
À mon réveil je marchais derrière elle. J'étais perdu sur le chemin quotidien qui nous mène où je vis. Et encore aujourd'hui, lorsque me vient ce petit bout de phrase : "quelqu'un de dos", c'est elle que je vois, sortant de sa robe. Elle poussait des brassées de lumière, tout simplement, comme aimantée par la chaleur. Sa peau lui suffisait, sous l'air lourd et marin du plus beau des après-midi de ma vie. Des racines de souvenirs emmêlés remontent le long de sa colonne vertébrale, tâtonnent entre ses omoplates. Non, dix ans ce n'est rien. Dix ans que l'image de son corps nourrit ce qu'elle n'a pas pris de moi. Je n'ai plus jamais vu, depuis elle, une femme aussi nue. J'entends parfois disserter sur l'importance du chemin. Mais à deux pas derrière elle, j'étais parfaitement arrivé. Le centre, le but, tout était là. Malgré notre marche, je crois que l'on bougeait pas. Je me rappelle sa main glissant sur le mur, et dans un instant qui fondait à vue d'œil, sa robe, appelée à finir en tapon.
Pourquoi, dans le même élan, puis-je affirmer, de tout ce qui me reste de raison, que nous ne bougions plus ? Ça durait, très précisément, depuis qu'elle m'avait glissé entre le cœur et l'oreille, sans se retourner, une histoire de fermeture à glissière brûlante : “Aide-moi, voilà, c'est ça“. Je ne peux expliquer autrement nos mouvements que par un léger déplacement de l'univers tout entier sous nos pas. Car quand on est arrivé où tout nous guidait, il ne faut plus... On ne peut plus... Même d'une phalange, bouger... De peur qu'une arythmie fâcheuse, impromptue, ne nous déporte à des années lumières, trop en arrière. Ou ne nous propulse vers d'autres galaxies trop en avant. Je me trouvais avec une certitude ahurissante pile à l'endroit qui m'attendait dés les débuts de l'invention du déplacement vertical, du premier souffle, de la première inspiration, pile au centre de tout, au bout du centre du monde qui nous portait.
Mais tout ça, ce ne sont que des mots, tout frais éclos. En vrai, il n'y a pas de mot. Et tout tangue, bouge et chancèle. Sa main flattait le sommier, mon passeport validé, elle m'appelait. D'un index qui ne laisse aucun doute, qui annule toute volonté, toute triste autonomie, elle ordonne que j'approche. Depuis que sa robe avait entamée sa chute, elle semblait infiniment libre et puissante. Pourtant, j'ai cru sentir, en la frôlant, qu'elle avait tremblé. Elle qui manœuvrait le plus doux des atterrissages, comme contre son gré,
étonnée, continuait à s'appuyer. Ou était-ce pour m'encourager ? Je devais de toute façon l'aider. Plonger mes mains sous sa robe, en haut des hanches. Poser ma bouche sur son épaule. Rejoindre son nombril et caresser son ventre. Bientôt remonter vers ses seins. La chaleur.
Parce que même les plus belles des robes ont un temps. 
Et aux pieds du lit, en leur heure, avec tout ce qui vit, dans un  souffle, elle meurent .

13 mai 2012

Le curieux paradoxe de la cacahouète



photo de Chouyo pour le jeu d'écriture des Mille Mains.

Pas de marche arrière possible. J’ai vendu, jeté, emballé, donné tout ce qui m'appartenait le jour où j’ai enfin décidé d’entreprendre ce voyage... sans un instant imaginer alors à quel point plus rien ne serait jamais comme avant. C’est en posant pour la première fois le pied sur cette terre étrangère que j’ai clairement senti que la déchirure était accomplie, la rupture totale. Aucun retour envisageable. Le coincé, le lâche terrorisé par le moindre changement, le casanier, le routinier, le frileux, celui que je croyais être s’était éloigné. La mue morte abandonnée sur le bord de la route disparaît par la fenêtre. J’ai tourné la tête, regardé ailleurs. J’ai vu autre chose, j’ai découvert quelqu’un d’autre. Celui que je quittais n’était pas moi, juste un rôle qu’il me paraissait pratique de jouer. Je me demande encore comment j’avais pu m'ankyloser sur ce personnage ? Ça rassurait un peu tout le monde, et moi en premier qui avait fini par arrêter de me demander tous les matins en chancelant devant le miroir de la salle de bain :

- Bonjour, mais qui es-tu aujourd’hui ?

Je m’étais persuadé, dans cette autre vie, que c’était moi, cette tête blasée, mal réveillée. Je trouvais ça normal vu qu’une autre journée pourrie recommençait. Tout était raccord. Je voyais l’univers entier tristement morose et immobile sans m’étonner une seconde d’être quand même obligé de courir toute la journée pour rester dans le cadre.

Je n’avais pas complètement tord, quelque chose ne bougeait pas. Mais ce n’était pas le monde autour de moi, c’était moi, le gesticulant immobile.

- T’es sûr que ça va, tu vas pas faire une connerie au moins ? S'inquiétaient mes amis quand je tentais de trouver en eux un appui, l’ultime validation de mes choix singuliers, un poids supplémentaire pour m’aider à boucler la vieille malle pleine de mes vieilles habitudes qui peinait à se refermer, qui rechignait à se voir stockée au grenier que personne ne visitait.

Maintenant je comprends mieux leurs réticences, c’est qu’ils étaient eux-même compris dans l’inventaire de ce bagage restant. Je n’osais partager avec eux cette réflexion tordue :

- Et si planter solidement en terre les piquets de notre indéfectible amitié, c’était vouloir conforter nos choix, symboles bancals du statut d’individus libres, conscients et autonome en oubliant vite qu’entre ces piquets, on pouvait aussi tranquillement baliser un pré carré de barbelés ? Ce que j’aurais appelé l’identité prison qui isole plus qu’elle ne défini.

Mais je n’arrivais jamais à partager ces hypothèses, tentatives de réflexions. J’avais toujours eu du mal à parler la bouche pleine, pleine de ces poignées de cacahouète que j’ingurgitais lors de la plus haute de nos activités humaines, l’apéro. Je souriais seul, c’était la  nourriture préférée de nos cousins les primates.

- Ben qu’est-ce que t’as à te marrer la bouche pleine ?

- C’est à cause du curieux paradoxe de la cacahouète !

- ???

- Non, rien, juste une connerie au taf aujourd’hui...

Le taf aujourd’hui, le taf aujourd’hui, le taf aujourd’hui...

Cette phrase résonne dans ma tête, tourne en boucle en grossissant. C’est comme une lame de fond qui monte de l’inconscient. Pire, il me semble l’entendre vraiment, de l’extérieur de moi-même ! Le taf aujourd’hui, le taf aujourd’hui !

Mais taisez-vous !

Par qu’elle magie me parle-t-on ?

- Hé ! T’as pas du taf  aujourd’hui !

- Hein ??? Je... Quoi ?

- Non...! Tu dormais devant ton écran ?

- Mais... Heu... Ah ! Non pas du tout, non non, t’as tout faux, je réfléchissais au choix de l’illustration de demain.

- Tu dormais !

Punaise, faut que j’arrête de mater les photos de Chouyo au bureau moi.

Vont finir par me virer...

09 mai 2012

Les nouvelles aventures de Bart & Lolita

- T'aimes le titre : "Les nouvelles aventures de Bart & Lolita" ?

- Ah non ! Y’a pas de Barthelemy et Lolita, jamais, tu peux pas envoyer ça à tes copines.

- D’abord c’est pas “et” c’est “&”, l’esperluette, ça fait plus classe, non ?

- C’est surtout un barbarisme que tu devrais employer avec parcimonie.

- Hé ! Tu sais bien que je suis une barbare, une rebelle et...

- Assassin de la morale et du français oui !

- Allez, pas d’inquiétude, je veux juste leur faire une petite surprise pour les voir crever de jalousie. On fait une soirée ici et après tu pourras retrouver ta solitude chérie.

- Lolita, si tu crois que je vais ouvrir ma porte à toutes les gamines du quartier.

- T’as aucune diplomatie, je suis plus une gamine.

- Ok, prouve-le. J’aimerais bien que tu me montres enfin tes papiers d’identité, pour rire.

- Je les ai perdus aux dernières vacances.

- Ah l’excuse... Je te vois, toi gamine, saoulée d'altitude du haut de tes escarpins, mais toi gamine de peplum. Fais gaffe, toi gamine tu pourrais vite glisser du haut de tes pyramides.

- Tu veux voir ? Les seules fringues de “gamine” que je porte, (d’ailleurs arrête de répéter ce qualificatif en boucle, on dirait une anaphore présidentielle !) ce sont mes culottes, que tu as pourtant l’air de trouver inspirantes. Chaque fois que j’en laisse traîner une, et hop, un tour de magie les fait disparaître.

- Arrête tes bêtises, je passe pas mon temps à les mater, les exposer, en faire quoi, des croquis ? Elles sont dans le placard... Que je n’ai pas pour vocation, entre parenthèse, de choisir comme destination... Ce qui sera ta seule victoire si tu continues à tout faire pour me mettre l’église et la maréchaussée sur le dos. On dirait que ça te suffit plus de glander avec moi sur le balcon quand les journées ensoleillées de printemps reprennent enfin leurs droits.

- J’ai grandi tu sais, quelle sortes d’impuretés te brouillent donc la vue ?

- Regarde aussi, toi, comme j’ai vieilli.

- Mais on a encore du temps quand même ?

- Plus trop, Lolita, plus trop...

- Alors on accélère ?

- Rentrons, le froid me tombe sur les épaules.

- Oublie-le, c’est juste le soleil qui se couche.

- Je sais bien, mais il a le même putain de goût amer que la faux qui me guette.

- Grossier bonhomme !

- Pétasse !

- Vieux con !

- Pisseuse !

- Je t’aime...



 Jeu du site desirdhistoires (qui n'est plus....)Les mots imposés pour la 64ème de Des mots, une histoire sont : diplomatieégliseinspirantecroquisvocationescarpinimpuretéaltitudedestinationesperluettesolitudeanaphoreparcimonieinquiétudeidentité – faux (outil) – surprisetourpapierporteassassinvacancesjalousieensoleillévictoirepyramide