06 mars 2012

A Natural Born Loser at the sea



Toujours faire le maximum pour conserver la plus totale cohérence entre ses choix de vie et ses aspirations profondes. Et sans me vanter, j’ai jusqu’ici la faiblesse de m’accorder le mérite d’une sorte de parcours sans faute. Je ne vais pas m'appesantir par le menu sur l’étendue de mes échecs, le buffet serait au mieux gargantuesque, au pire immangeable. Et de toute façon, les ingrédients de cette mixture irrésistible sont à haute teneur d’oubli, de distraction, d’inattention, d’amnésie. Oublier chaque mains tendues qu’on aurait pu saisir, les portes aux clés égarées, les panneaux, les cartes négligées, les mêmes causes qui ont toutes les chances de reproduire les mêmes effets. Rester sur le vieux cercle vicieux du connu, que je m’étais promis, adolescent, de ne jamais quitter. Ne jamais changer, rester pour toujours fidèle à ses idéaux. Et j’ai réussi, à rester fidèle... mais à quoi, ce détail m’est peu à peu sorti de la tête ? Rester fidèle pour moi s’est souvent résumé à dire non au reste.
Alors, que dire des raisons qui m’ont poussées à prendre la mer, sur cet antique cargo reconverti à coups de peinture exagérés, en promène-couillons ? Et d’où m’est venue la prétention d’être capable, une guitare à la main, d’animer leurs sempiternels apéritifs dînatoires ?
Je me suis quand même dit, en voyant le port s’éloigner, ce coup-ci, ça passe ou ça casse. Ça m’a souvent sauvé d’avoir des lettres.
L’équipage était des plus patibulaire ; j’aurais été bien ingrat, voir chafouin, de ne pas leur accorder toute ma confiance et de ne pas remettre, d’un bel élan, toute ma vie  entre leurs mains.
Les touristes étaient tous aussi riches qu’on peut être bête et je n’ai pas été totalement surpris de les voir, nus comme des vers, se faire jeter par dessus bord, dés les côtes hors de vues. Par contre, je n’ai, du coup, pas manqué de m’accrocher instinctivement à ma guitare, pour en évaluer le pouvoir de flottaison, certain de rejoindre le gras du troupeau à l’eau, au milieu des auréoles multicolores et huileuses, exhalant de paradisiaques parfums coco.
Mais, alors que j’aurais pu, certainement, nager jusqu’à une de ces plages qu’on voyait défiler telles des perles dorées au cou de notre mère la mer, les flibustiers m’annoncèrent de concert, et goguenards, que mes chansons leurs plaisaient et que j’avais gagné un contrat à vie à leur bord.
Stupéfaction de l’apprenti poète, trouvant finalement marrants ces marins navrants. Mais, ma joie incongrue, d’avoir trouvé enfin un public chaviré, fut de courte durée. J’ai eu l’infinie déception, quoique logique aussi, on se refait pas, me dis-je toujours, d’apprendre qu’entre chacun de mes tabacs et autres récitals déboussolant, je passerais le plus clair de mon temps précieux bien à l’ombre, enchaîné à fond de cale.
Et, j’ai eu beau crier haut et fort que ce n’était pas et de loin la meilleure idée de la traversée, je finis au frais, une chaîne au mollet et une guitare à la main, avec l’ultime confirmation, il doit y avoir un mois de ça, qu’il y a bel et bien un atavisme, une contagion de l’échec ; le bateau je ne sais où s’échoua.
Devant mon air innocent, les pirates décidèrent, pour me faire comprendre avec leurs mots à eux, que j’étais leur chat, leur rat, leur lapin ou je ne sais quel autre animal tabou et désastreux, de m'abandonner, m’accusant de n’être qu’un triste jeteur de sort.
J’eus beau arguer que, si jeteur de sort j'étais, j'en aurais jeté de plus constructifs bien plus tôt, là aussi, ils furent sourds.
Aujourd’hui, j’ai bu la dernière goutte croupie du tonnelet, qu’ils laissèrent, avant de s’enfuir par la plage, le sable crissant sous leurs pas, autant décidés qu'arythmiques. 
C'est l’heure, mon dernier souffle sera pour eux, public au combien ingrat, et pour l’art de l’échec qui jamais ne m’a quitté. 
A tous donc, je dédie ce morceau :  La Mer de Trénet.

3 commentaires:

  1. Voilà un bien joli texte qui donne envie de voyager et de chanter!

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  2. Incroyable texte... J'arrive ici depuis le blog à mille mains, curieuse, je tâtonne, je découvre, je parcours, je lis, je m'attends à trouver un endroit agréable puisque j'ai aimé le texte publié là-bas, et voila que sans prévenir, ce texte fabuleux passe devant mes yeux... Aucune résistance à l'appel du commentaire, je suis fan, j'ai aimé, sur-aimé, je parle du rythme, du vocabulaire, de la construction, de la mélodie qu'on entend derrière, des phrases construites comme les vers d'un poème ou ceux d'une fable, je parle de toute cette poésie et je voudrais aussi parler de ce sourire que tu m'as collé sur les lèvres, parce que, dieu que ce texte est bon ! Merci, et ravie de te connaître !

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  3. Depuis tout à l'heure, je parcours tes textes et je suis scotchée par celui-ci ! Si tu joues de la guitare aussi bien que tu manies les mots, la musique doit être envoûtante...

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...on en cause ?