26 novembre 2012

L'heure a raison, d'où leurs oraisons...

  Je suffoque presque. L’air, pourtant, soulève ses tornades de feuilles mortes dans la cours. Il siffle entre les battants des fenêtres qui ne ferment plus. L’école est vieille, la classe abandonnée. 
J’ai eu brutalement, quelques heures auparavant, la plus intime des convictions ; le soleil n’irait pas plus loin dans sa course quotidienne. Le jour est, et ce depuis bien trop longtemps maintenant pour en douter, bloqué en son lever. Mais peut-on encore parler de lever quand s’est tarie la promesse de plénitude ? Alors, je regrette infiniment la tâche oubliée. Celle qui, hier, m’a privée d’accorder l’affectueuse attention que j’aurais fatalement portée au dernier zénith, l’ayant enfin, absolument, reconnu comme tel.
Et je regrette infiniment la tâche oubliée, qui avant-hier m’a privé de l’avant-dernier zénith.
Et je regrette infiniment la tâche oubliée, qui avant-avant-hier m’a privé de l’avant-avant-dernier zénith.
Je regrette...
Sans pour autant savoir si c’est ce regret qui, au sortir du lit, m’amena devant les grilles rouillées de l’enfance. Ou si c’est cet étrange, impérieuse, irrépressible pulsion à refaire au réveil l’antique trajet, qui stoppa net, définitivement, autour de moi, la course de l’univers ?
Ce jour qui ne veut pas commencer avait pourtant, au début, le même goût que les autres. Je l'ai un instant reconnu. Le réveil a sonné, je l’ai éteints. L’eau a chauffée, je l’ai bue. J’avais précisément le retard idéal, calculé à la seconde près, lorsque j’ai tourné la poignée de la porte pour sortir.
Le ciel, d’un noir plus profond que l’heure ne l’aurait laissée imaginer, ne m’a pas inquiété. Mais comment m’expliquer le souvenir flou d’être passé à côté de ma voiture sans y toucher ? Je crois même l’avoir regardée comme on regarde un objet mort, un caillou commun et tellement inutile que le coût du coup d’œil n’en vaut vraiment pas le coup. Et j’ai renoncé sans y faire attention, à ce miracle usé de viser la serrure, les paupières molles, sans rayer la carrosserie. Pas plus non plus de confort sécurisant, une fois calé dans le siège moelleux, ni satisfaction fugace à l’écoute du bruit du moteur, après un ou deux tours de clé, ou cet apaisement sensible quand les phares trouent, victorieux, l’obscurité matinale.
J’ai juste contourné ce tas de technologie comme si c’était un rocher un peu ennuyeux, un obstacle inutile.
Et c’est à pied qu’à 45 ans, j’ai repris comme si c’était hier, le chemin de l’école.
Il n’y avait personne au portail, je l’ai escaladé pour rentrer. Personne dans la cours que j’ai traversée. Le hall vide ne résonnait que de mes pas. Le couloir, infini. Les portes fermées, j’imagine, car je n’aurais jamais osé tenter d’y entrer, sachant qu’aucune de ces classes n’était la mienne. J’arrive au beau milieu de l’infini, du couloir tout au moins.
J’attends. Je me suspends à un porte manteaux, les bras tendus. J’attends longtemps, le corps ballant, les jambes repliées. Mais ça n’a jamais sonné.
Là, je suis dans la classe, ma place est contre la fenêtre. Une barre dessous la table s’appuie douloureusement sur mes cuisses. Je regarde dehors, où il fait toujours un tout petit peu moins sombre qu’à l’intérieur.
J’ai raté ma vie.
J’ai peur.
J’étouffe.

09 novembre 2012

La maladie

photo Sylvain Lagarde
Je suis tombé dans la maladie
Et impossible de dire précisément quand. Mais c’était forcément à un moment charnière. Depuis, je passe en revue le moindre de ces évènements. Comme si je pouvais guérir en revenant à la source du mal. J’ai plutôt l’impression de me servir de cette hypothèse douteuse pour me distraire l’esprit. Il serait pourtant bien plus judicieux de me concentrer. Mais la fièvre épuise une à une mes dernières forces. Mon capital fond. Mes muscles, ma vue se disolvent. Je ne sers plus qu’à penser. Je rêve d’équinoxes. 
Ça aurait très bien pu être le jours où j’ai enfin répondu à ton invitation, que d'un coup je glissais dans cet entre-monde. Je garde précieusement la mémoire, de l’heure, de la minute, de la seconde. Dans ma collection compulsive de codes temporels, il figure en bonne place. J’avais donc sonné à ta porte et depuis ce qui me sembla être une bonne dizaine d’année, j’attendais sur ton palier. Je profitais de ce temps mort pour ne penser strictement à rien. N’attendre rien non plus. Je regardais le bois de la porte. Il me le rendait à sa façon, m’hypnotisant doucement. Je me doutais bien qu’il aurait suffit de compter les veines du bois, de l’extérieur vers l’intérieur, pour connaître l’heure pile où je passerais enfin, de l’extérieur vers l’intérieur. Mais je préférais la surprise. Ou plutôt, je me saoulais du manque de courage qu’il m’aurait fallu pour m'atteler à cette tâche, somme toute fastidieuse. J’étais déjà un peu vieux, je crois.
C’était la glissade qui me plaisait. Je sentais le temps se raccourcir, se compresser, attendant affectueusement l’effet de ce que que j’avais pris l’habitude de nommer : mon bon ressort. La porte devrait grincer car l’infini mathématique encore une fois mentirait. Et je serais soudain chez toi. Quoiqu’en omettant soigneusement de préciser l’épaisseur du ressort, je maintiens artificiellement en vie un miracle qui n’aura pas lieu. Si elle pouvait, un jours, cette porte, pour mon plus grand bonheur, n'en jamais en finir de s’ouvrir. Vraiment, elle ne devrait jamais en finir. Je ne devrais jamais rentrer. L’institution assignerait à chacun une porte, à chacun une place. La paix immobile des nations. Les peuples des portes, ni ouvertes, ni fermées.
Juste en train de...

- Je t’en prie, entre.

Je suis passé du palier de l’immeuble au couloir de son appartement à 20h 32mn 05s. C’était le jeudi 15 novembre 2013. Je ne pourrais pas mieux dire. Y a t’il eu un éblouissement à la bascule des mondes ? Ai-je reçu une quelconque piqûre au bas ventre, pour ce passage téméraire, qui fût loin d’avoir bénéficié de l’attention qu’il méritait ? J’ai bien peur de ne pas savoir ?
J’avais déjà, avant de la rencontrer, franchit tellement de seuils, fait preuve de tant de légèreté coupable.
Et c’est là que certaines de nos maladies communes s’installent. Une brèche s’ouvre, on regarde ailleurs, pressé forcément. Mais quelque chose guette.
Un trou se forme.
Et on tombe... 
Dans la maladie.

08 novembre 2012

Après la tenue

Après la tenue
Je reste ou je pars ?
Je laisse un temps ou deux
Et le teint défait feins
D’avoir tout laissé filer
Avant de terriblement enchaîner
Déchanter
Ou vraiment s’écraser
Sur la coda qui ne sait que ceindre
Et comme toujours du début
Repartir.

Après la tenue en tout cas
Que les mains se jettent
Joyeusement les unes vers les autres
Ou qu’elles pendent abandonnées
Elles aussi soumises
Aux sales gimmicks
Séparées par les corps de marbre
Les pierres rigides
Il faudra bien qu’elle ondule
Celle qui n’est soumise
Qu’à l’harmonie

Après la tenue
J’aurai
Ô mon Dieu !
C’est en posant la dernière note qu’on le sait
Tellement souhaité continuer
Je suis la basse qui marche
Posez-vous, appuyez-vous
Contre mon dos rond, mon gros ventre
Je suis la basse en marche
Un tapis persan traversant les nuages
Qui croyait pouvoir toutes et tous
Vous transporter

Après la tenue
Je me suis étalé
J’ai oublié, j’ai refusé
De respirer

Après la tenue
Personne n’a cédé
Alors j’ai glissé de case en case
Hors de la gamme qui nous guidait
Je suis celle qui plus que dérange
N’a rien à faire ici
Celle qui gâche
Je suis fausse
Jamais assez muette
Rares sont ceux qui m’oublient

Aujourd’hui enfin
Après la tenue
J’en ai profité
Par amour d’un silence
Pour me faire oublier
La morte.