27 décembre 2015

Pas si blanche neige

 pour l'atelier Mil et Une

Le mot de la semaine 53 était : cursus
En ce temps là, je croyais encore au Père Noel, aux petits boulots et à l’innocuité des réclames télévisuelles. Alors, passer mes vacances déguisé en Zorro qui surgit hors de la nuit, pour gagner trois francs six sous, j’avais dit oui sans hésiter. Avec, en bonus non déclaré, quand les mystères de nos emplois du temps le permettaient, la joie secrète de croiser Blanche Neige.

Je n’étais pas bien courageux, alors je me contentais de lui sourire de loin, sans jamais oser l’aborder ni même me renseigner sur son prénom. Et pour me conforter dans le bien-fondé de mon indécision, je m’échinais à lui trouver milles défauts. Déjà, on ne peut me l’enlever, elle sourit beaucoup trop, tellement que s’en est suspect. Soit elle est vraiment conne, soit elle nous cache quelque chose.

Bon, chez Disney, c’est vrai que les non-masqués sont un peu obligés, quand ils font partis de l’équipe des gentils, d’arborer, quelque que soit la saison, une belle banane concave. On ne rigole pas avec le monde de la fantaisie, par chez nous. C’est le masque ou la porte sans indemnités. 

Tout est faux, truqué, mais personne n’est dupe, passé son cinquième anniversaire.
Alors, sur les photos, vous ne verrez jamais rien d’autre qu’une parfaite satisfaction dans l’ordre des choses. Il arrive même que ça ne nous étonne plus, tout ce bonheur.

Là, par exemple, sur la photo de la pause repas, j’ai mis quelques secondes à repérer l’entourloupe ; un gros spot lumineux éclaire le premier rang qui n’ignore donc rien du photographe à l’œuvre. Alors, que ce soit l’indien ou le shérif, c’est extérieur joie pour tout le monde. On voit rarement l’envers du décors. De fait, on le voit tellement peu, qu’une légende voudrait nous faire croire qu’il n’existe aucun « envers ».
 
D’ailleurs, si des machines pouvaient avoir autant de fausse chaleur humaine que nous, y’a belle lurette que nous aurions tous été renvoyés à nos cursus de base, n’en doutez pas un instant. Et notre chère direction n’aurait pas cette légère raideur au niveau des cervicales, lorsqu’il s’agit de nous immortaliser dans une occupation autre que celle de notre rôle de conte de fée.

Cette barrière fallacieuse entre rêve et réalité commence à me bouffer. Je ne sais pas si je perds la tête mais j’ai cru voir Blanche Neige glisser une messe basse dans l’oreille du chef ; ce qui expliquerait le renvoi de Joyeux. Je l’avais bien vu, ce dernier dimanche, ronchonner avec Grincheux parce que leur scène avait été encore une fois maintenue, malgré le mauvais temps.

Maitriser les humeurs, du Temps et des Hommes, c’est de la toute première nécessité pour les gens du Divertissement. Ce que je peux tout à fait concevoir.
Par contre, ce qui fait froid dans le dos, c’est lorsqu’on se rend compte que toute la société tend vers ce but : que le spectacle n’ait pas de fin, que nous puissions à jamais baigner dans l'illusion tenace d’une éternelle prestation théâtralisée, le cerveau trempant doucement dans un liquide tiède et sucré, incapable de se confronter à une quelconque finitude, que ce soit de son désir, de son confort, de ses certitudes…
Même la mort devient un simple outil à générer du rebondissement, sachant que l’on peut à loisir créer et supprimer ces êtres virtuels dont la seule tâche est de nous bercer. Et pourquoi pas, une fois le cerveau bien ramolli, bien disponible, ne pas lui imprimer l’envie de tel ou tel produit ?
Qu’au moins tout ce cirque serve à quelque chose…

15 décembre 2015

-CLIC-

 

 pour l'atelier Mil et Une

Le mot de la semaine 41 était : tentation

       C'est pas toujours facile, le travail en entreprise, mais le pire, c'est dans la grande distribution. Je ne crois pas que ça tienne aux degré d'évolution des conditions de travail ; c'est pénible aujourd'hui, ça le fut hier et tout porte à croire que ce le sera demain.
Rien de neuf et aucun espoir d'amélioration.
Pourtant, c'est pas les innovations qui manquent. Chaque lundi, de nouvelles règles, de nouveaux process. De nouveaux collègues aussi, le week-ends permettant un peu trop de réflexions ou d'alcool, les deux dissolvants les effectifs comme de l'acide.
Alors, j'y ai vraiment cru, quand la direction a proposé, en fonction de l'ancienneté, d'offrir des réductions sur les implants neuronaux. Combien de fois nous avions gueulé, manifesté, pétitionné pour accéder au statut envié d'heureux bénéficiaires de la dernière prouesse médicale en vogue qu'est la lobotomie temporaire LT®.

Car, ils étaient rares, ceux d'entre nous qui avaient pu se la payer, au prix d'économies drastiques sur... tout le reste. Pourtant, je ne sais si c'est la jalousie ou leur manque de conversation après l'opération tant désirée, mais nous ne n'avions pratiquement plus de contact avec eux. Même lorsqu'ils se reconnectaient pour les pauses dédiées aux interactions sociales bi-quotidiennes, on s'en tenait aux regards froids et aux phrases qui ressemblaient plus à de l’interjection.
- Fait ci, fait ça
- Oui mais non, j'ai pas le temps
- Et d'abord, lâchez nous la grappe, les bistourisés

Entre nous, les biolos, c'était à qui se mentirait le mieux à soi même... et aux autres. On revalorisait au maximum nos postes, pour ne pas trop avoir à se confronter à l'injustice d'être privés d'une solution définitive, mythique, proche et pourtant inaccessible.
Du coup, pour noyer le poisson, nous arrivions toujours à nous mettre d'accord, après quelques arguments bien sentis et bien arrosés, qu'un hypermarché, c'était quand même super. Le mythe enfin matérialisé de la corne d'abondance pour tout un chacun. Avec ses milliards de demi-dieux rangés en rayons presque infinis ; des produits tous plus attrayants les uns que les autres. C'est ça, la béatitude que crée l'offre gargantuesque et ses fruits bénis ; un sentiment de sécurité totale dans le cocon de la profusion nourricière. Les rayons étaient si longs, si rempli, qu'il y en avait pour plus que pour tout le monde. Pour tout dire, on en balançait de la camelote, tellement on savait plus quoi en faire. Si c'est pas le luxe total, ça ?
Et nous, nous étions les gardien de ce petit miracle quotidien. On fluidifiait les échanges entre les usines et les foyers avec une habileté et une rigueur qui faisaient toute notre fierté.
Et plus on gavait les rayons, plus les client se gavaient et au final... Non, tout le monde ne se gavait pas.
Nous, notamment, devant nos tâches répétitives, notre hiérarchie inflexible et les client irascibles, nous n'avions même pas de salaire attractif, à la hauteur de ces interminables journées.
Entre les bistourisés un peu bizarres et les biolos en pleine déprime, y'avait pas, le choix s'est imposé de lui même.
Nous avions tant rêvé de passer du côté de ceux qui maîtrisent le zapping cellulaire. En plus, d'après des recherches récentes, l'accroissement sur la durée de vie après l'opération est tout à fait significatif. Plus d'ennui et la mort qui s'éloigne, les professionnels de la propagande se frottaient les mains tellement leur tache était simplifiée.
Alors, avec la prime, il n'y eu plus de frein à la tentation et nous avons tous franchis le pas.

Ah, je vois qu'il me reste encore un peu de fantaisie à utiliser aujourd'hui, ce qui fait que j'en profite pour vous envoyer une photo de l'équipe de semaine.
C'est marrant, je n'avais jamais fait attention mais y'a une certaine ressemblance entre nous, je trouve. C'est vrai qu'on fait plein de chose ensemble, comme le coiffeur, l'alimentation. C'est normal que ça se voit un peu sur notre physique, au final.
Bon, je vous laisse, ma pause en finie - CLIC -

09 décembre 2015

Bunker Europa



De mon abri je vois
Des frontières, des soldats
Gouvernés par la peur
Et de basses humeurs

Ils attendent les ordres
Mais ne trembleront pas
Quand il faudra tirer
Ou courir s'abriter

Au loin, la mer gronde
Et le vent nous envoie
Quelques vagues de chair
Se briser sous nos pas

Allongé sur le sable
Je cherche le repos
Au milieu d'inconnus
Et leurs âmes perdues

Mais je ne bougerais pas
Du Bunker Europa
Même si l'air me manque,
Je ne sortirais pas

J'ai fermé les yeux,
Bouché mes oreilles
Verrouillé les portes
Et grand ouvert la gueule

Et un soir ivre mort,
J'ai même jeté les clés
Dans les égouts sans fond
d'un ciel avorté

Et j'y dors comme un ange
Que ses couches souillées
Par des cris étrangers
Ne réveilleront pas

Blotti entre les bras
Du Bunker Europa
J'ai vomi dans mes draps
En repensant à tout ça

27 octobre 2015

l'Autre Côté

atelier irl Mérignac
    En 6ème, ma prof principale était si jolie, si gentille, que j’aurais appris n’importe quelle leçon sur le bout de ses doigts, rien que pour recueillir un de ses tendres sourires complices ; jusqu'à ce lundi matin, maudit entre tous, 13ème jour du mois d’octobre 1981, il est 8 heures passées de 7 minutes, elle me demande le cahier de classe, que je n'ai pas...

Moi, intérieurement : Non, mais je rêve, là, on prévient avant... Qui c'est qui va passer pour un irresponsable maintenant ? Sérieux, ce monde est donc insensé ?

Moi, extérieurement : "Heu...?"

Elle : "C'était ton tour, point final ; tu te bouges et tu me le ramènes illico !"

Je sors donc, illico, en errant quelques secondes, une fois la lourde porte claquée, le cœur écrasé, sonné devant l’injustice de ces longs couloirs vides, seulement peuplés des fantômes de ma jeunesse insouciante, à jamais défunte.

Cette erreur judiciaire m'expédie, clairement, brutalement, irrémédiablement, de l’Autre Côté, hors des clous, par delà l'infranchissable ligne jaune, pour mon premier délit scolaire.

J'ai oublié le cahier de classe, j'ai mis en rogne ma prof préférée, ma vie est foutue...

Aussi, quand je réussi, chancelant, à regagner ma salle de classe (avec l'Objet en main, cette fois) ma nouvelle vie est déjà planifiée ; ce sera, en gros, une vie de paria.

Je ne pense pas faire de prison mais il est trop tard, c'est sûr ; les études, pour moi, elles s'arrêtent aujourd'hui !

25 octobre 2015

Bart se barre

photo Tim Richmond
Le gros s'est barré, avec le reste des bières. Cette ville pue, c'est tout ce qu'il a trouvé à dire comme mot d'adieu. Et il m'a plantée là, avec mon fond de canette et ma petite robe blanche. Tant que le soleil cogne, ça va bien mais qu'est-ce que je vais me geler ce soir. Dés fois, il ne pense qu'à sa gueule. Et ça arrive souvent, des fois. Enfin, ça me regarde plus, me revoilà libre. Ça me rappelle avant, quand je le connaissais pas encore. J'étais pas bien vieille mais j'en faisais déjà qu'à ma tête, d'après ce qu'on dit. Je suis évidement pas d'accord, les gens sont des cons centrés sur eux-mêmes. Alors, forcément, ça pourra jamais coller. On n'a pas le même centre. Pourquoi je me casserais le cul à les écouter. Dans le mur, ils vont tous dans le mur. Et ça sera sans moi.
Bon, c'est vrai que cette ville n'est pas terrible. Avec tous ces magasins qui ferment. Y'a presque plus que des vitrines vides où ils entreposent leurs plantes vertes. Des rangées d'étagères avec quelques pots de fleurs à moitié abandonnés qui tentent d'occuper l'espace. Pour se donner bonne conscience dans tout ce gâchis pathétique.
Moi, ça me donne soif, mais j'économise. Je suis un peu conne parce qu'avec la taille des voitures garées dans le coin, c'est sûr que je trouverais bien un type pour m'offrir un verre. Plus ils mettent de thunes dans leurs caisses, moins ils me résistent, c'est des mathématiques, il disait, Bart.
Je me verrais bien habiter dans une de ces boutiques. C'est quand je lui racontais ça, et de quelle manière je pourrais en arranger l'intérieur, qu'il a commencé à péter un câble. On dirait qu'il refuse de comprendre que j'ai besoin de me poser. Lui, ça fait longtemps qu'il ne rêve plus. Il courre, à fond, sans trop regarder où il va, avec cette peur, au moindre arrêt, de ne jamais pouvoir repartir. Ou l'espoir qu'un mur mette définitivement fin à sa course folle ? J'ai bien peur que ce soit ça.
Merde, mais qu'est-ce qu'on foutait ensemble ? C'est quoi le problème, de se bâtir un petit chez soi ? J'aime bien savoir que, quoiqu'il arrive dans ces journées débiles,  le soir venu, on pourra toujours se laisser tomber sans retenue dans son bon vieux fauteuil préféré.
Lui, il aime pas. Enfin, il refuse d'aimer. Il dit que c'est un mélange d'illusion et de déni, que le seul repos, ça sera ad patres. Mais qu'est-ce qu'il en sait, ce petit malin de trou de cul de vieux renard ? Si ça se trouve, y'a pas à se prendre la tête, ad patres, c'est là où on se pose. Moi, je suis bien, rien m'importe, tant qu'on me hurle pas dans les oreilles.
Et oui, je passe mon temps à faire des plans, j'adore imaginer ce que ça donnerait, autour de moi, si je pouvais poser ma patte partout où je peux poser un œil. Tu voudrais pas, toi, au soleil couchant, faire quelques pas en arrière pour contempler ton travail accompli le jour durant ?
Bart ?
Tu es déjà trop loin.
Nos discu-putes me manquent.
Alors, je te parle comme si t'étais déjà mort. Alors qu'il nous en reste, un peu, du temps. Tu veux pas revenir ? Moi, je m'en fous de rien réaliser ; l'important, c'est d'essayer. On dit que l'Homme est un bâtisseur mais c'est juste parce que certain, personne ne les arrête. L'Homme, c'est surtout un baratineur, un causeur, un conteur, un rêveur. Et pour ça, il faut avoir quelqu'un à qui parler.
Et avec toi, c'était parfait.

20 octobre 2015

Hank & Linda






Je ne vois plus les années passer,
Happées qu'elles sont par une invisible gravité
Eux s'en foutaient, divinement !
Depuis, elles erre seule dans son musée
Payant de ses larmes quotidiennes
Le prix exorbitant de ce qu'on appelle ici, l'amour.

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 photo : Erik Johansson - clic et clic

 pour l'atelier Mil et Une

Le mot de la semaine 41 était : volonté


   J'ai longtemps cherché la manière idéale pour rester irrémédiablement jeune. Une prise de conscience, très tôt, (que j'évalue à quelques milliers d'années, dans un soucis de précision et de lisibilité ) de cette sordide précarité qui constitue l'essentiel de notre condition, m'a finalement guidé vers une lumineuse solution ; toujours s'appuyer sur une inébranlable volonté !

   Et depuis, rien n'y fait, je trace ma route, quoiqu'il m'en coûte.
Par tout temps, on peut me voir, drapé de certitudes, déroulant, sur toutes les terres vierges que je croise, mon infini rouleau de décisions et autres points de vue personnels.
J'ai fusionné, il y a de ça quelques années, propulsé par une adéquate révolution industrielle, avec des monceaux d'or et de bitume. Je serait désormais un avec celle que l'on n'ose nommer, mais qui le mérite amplement, soit, l'Immortelle Volonté !
Mais vous pouvez m'appeler Didier, le défricheur. J'ai su rester simple. Et bien, réjoussiez-vous, je reviens vers notre chère vieille Europe, toujours pétaradant de santé, après un long périple à travers le globe, les âges, et pratiquement aussi léger qu'aux premiers jours, pour parcourir quelques friches persistantes, toujours en basse campagne, qui soupirent dans l'attente des sillons et autres coups de boutoir, que l'inébranlable pouvoir de ma jeunesse éternelle n'a de cesse de leur donner.
J'entends, au loin, leur plainte :
- Didier, planifie nous pour l'éternité. Facilite les flux immémoriaux des pensées de tes semblables.
Comment, et pourquoi, résisterais-je à cet appel vibrant ? D'autant plus que je n'ai un peu que ça à faire. Et puis aussi, pour être sincère, j'ai tellement peur de m'ennuyer si je la perdais, cette splendide faculté, forgée par mes mains du néant. J'avoue que cette volonté est un outil incroyablement puissant et attachant, et force m'est de constater que j'en suis légèrement devenu dépendant. La sincère jouissance, quand je m'accorde une micro-pause, en contemplant derrière moi tout ce travail accompli, l'aplatissement de toutes difficultés que je mets gratuitement sous les pieds de l'humanité, non, c'est chouette, je suis pas le dernier des branleurs, ah ça non, et oui, je le redis, j'aurais du mal à m'en passer.
Mais cette force de caractère, qui fait que je suis ce que je suis, et sans qui donc je ne serais pas celui que je veux être, n'a jamais complètement fait taire une autre voix.
Au début, je la prenais pour un acouphène. Un murmure quasiment inaudible, un souffle inarticulé qui osait tenter me distraire de ma tâche. Il suffisait alors que je presse le pas pour la faire taire, que je descende un pichet de liqueur, que je distribue quelques orgasme à quelques passants et passantes en passant.
Et puis, de siècles en siècles, d'heures en heures, le son à gonflé, bataillant avec le bruit de mes machines intérieures que je poussais à pleine turbine, au paroxysme, dans leurs retranchement.
Aujourd'hui, c'est arrivé, elle me parle. Elle me dit :
Je suis la croisée des chemins. Ma voix, c'est la voix de la liberté. J'ai utilisé chaque seconde de ta vie pour me présenter devant toi. Et l'heure est venue, tu es enfin au sommet, devant toi, l'abîme. Mais te reste encore un instant pour te retourner, une dernière fois, sur ton voyage ; car je suis pas chiche, tiens te le pour dit.
Regarde, chaque route que tu as tracée dans la nuit, oubliant d'où tu venait, sachant très moyennement vers quel horizon tu te dirigeais, regarde ce qu'elle a changé pour tes frères. Ils te suivaient, gambadants pieds nus, un air de musique éternellement nouvelle s'échappait de leurs gorges, pour tout dire, ils glissaient sur le tapis que tu leur tissais, ils vivaient à genou, toujours derrière toi. Car ta route, qui n'est que ta route, elle ne s'efface pas derrière toi. Tu as scarifié tout l'univers et depuis, le monde entier navigue sur tes canaux de sang. Ce que tu as fait, tu ne l'a fait que pour toi, ce qui, à la limite, pourrait être tout à fait concevable, si cela n'avait amputer les milliards d'autres volontés sur lesquelles tu as pris le pas.
Tu dis que concevoir, bâtir, créer, avancer, c'est l'aboutissement de ta volonté d'être libre.
Mais tu es moins libre que le plus banal des rochers sur lequel tu t'assoies un moment, entre deux bouts de tes tâches malignes. Tu n'as rien validé, oubliant que l'air qu'inspirent tes poumons, c'est l'air le plus ancien qui se puisse, vieux comme le monde ; toi qui ne voulais que du neuf, ta vie se nourri de la mort, recyclée.
La liberté était déjà là. Mais la peur t'a fait tracer des chemins que tu as tous nommés liberté.
Alors qu'elle, elle n'a pas de nom, c'était juste ta vie, une parcelle de la Vie.
Tu n'avais qu'à la chérir, elle n'attendais rien d'autre de toi pour te l'offrir, cette éternité.
Et ne me dis pas que le temps t'a manqué. Le temps, sérieusement... Tu a bien su l'utiliser, le mêlant au salpêtre, au souffre, au sable et à la poussière.
Tout ça pour le durcir et le passer à bâtir tes empires.
 

26 juillet 2015

Les morsures de l'hiver

Le rêve des autres,
Et, tout doucement, du mien

J'expulse pour y voir
Entre les ronds de fumée
Tente de m'y planter
Loin des trop pleins cramés
Au centre des fournaises
Dans un silence crépitant,
D’un seul élan,
Sous les lents, lents
Sous les lents soleils


Je répare les morsures de l'hiver
En remontant les aiguilles
Pour qu'elles cuisent tout autour
Tout le cuir de ses cuisses
Qu'elles fouillent, les mains, dans les chiffons
De nuit, c’est affaire de nuit
De gel, de demie solitude étonnée,
De toisons englouties
A moitié endormies.



Or, une fois, enfin, la course des trains tarie
Le tout retrouvé béant
On voit qu’il est vain de vouloir tout entier y plonger
À peine protégés du froid, de la peine, de demain
Sauvons ce qui peut l’être dans le fond,
Sans le mal au ventre

Ah, croire qu’il n’en est rien, que tout est nouveau
Que les sourires seront désormais verticaux
Que les jambes ne portent que des sexes
Que, de tes yeux, je n’ai plus qu’un parfum
Que ce n’est qu’à tes lèvres muettes
Que je rêve de parler de goutte à goutte
À l'abri du ciel, sous ton parapluie
De la braise de nos corps palpitants

Est-ce en vain ? Car rien ne nous apaise
L’envie me sussure, je l'écoute et je sus
Ce qu'elle sait, ce qu'elle dit, de l’usure

Au fond, je vois que,
Ce qu’on nomme,
On le vide

J’abrège...